VERSAILLES
Versailles doit tout à son château. Ce qui n'était à la fin du XVIIe siècle qu'un modeste village des environs de Paris, va devenir pendant plus de 100 ans le centre politique et administratif de l'une des plus puissantes nations du XVIIIe siècle.
Œuvre mégalomaniaque et éminemment politique, le château de Versailles se situe dans la catégorie des plus célèbres monuments de ce grand pays touristique qu’est la France. Sans doute le souci de trouver quelques filons photographiques motiva-t-il ma décision. Je souscrivis un abonnement d’un an (pour 50€) qui m’ouvrit le domaine comme une sorte de buffet à volonté dont je pus me goinfrer jusqu’à satiété.
Il s’agissait d’alimenter diverses séries, grâce aux jardins, aux bâtiments et à toutes les occasions qu’offrent de patientes déambulations dans ce genre d’endroit aux décors divers et à l’activité constante.
Je comptais aussi poursuivre la série entamée à Florence et en Toscane, autour des touristes en situation (que l'on compte par millions à Versailles, leur nombre réel est contesté et serait en baisse) sans me prendre pour Martin Parr mais dans le même esprit que lui.
Par le train, l’accès au château s’avère assez rapide. D’Asnières-sur-Seine la gare de Versailles Rive Droite est accessible en 20 minutes (30 mn env. de Saint Lazare), ensuite, au terme d’une agréable promenade qui fait passer par la place du marché et des quartiers anciens, les grilles du château sont atteintes en 20 minutes. D’autres gares (Rive Gauche, Chantiers) desservent Versailles mais, comme pour l’accès en voiture, je vais vous laisser vous en débrouiller.
Pour faire un historique rapide du château, sachez que tout commence en 1623, par un pavillon de chasse bastionné, loin d’être fastueux, que Louis XIII fit bâtir dans cette région très giboyeuse et toute proche de sa résidence principale de Saint-Germain-en-Laye.
Le roi s’y trouvait bien, entouré d’amis à son goût, éloignant épouse et mère grâce à l'inconfort des lieux et à l’absence d’appartement pour les femmes.
C’est là, en 1630, qu’il liquida l’influence de sa mère, lors de la seconde des « Journées des Dupes » et qu’il affermit le pouvoir de Richelieu.
A la mort de Louis XIII, son fils n’étant qu’un enfant, commença la régence d’Anne d’Autriche, une période propice aux Frondes de la noblesse contre le pouvoir royal.
« Il ne pouvait souffrir les gens qui se plaisaient à Paris » Saint-Simon
L’intérêt de Louis XIV pour Versailles s'affirma en 1664 lors de la première campagne de construction, il s’appuya principalement sur une volonté de contrôle de cette noblesse frondeuse qui, du temps de son enfance, lui avait laissé de bien mauvais souvenirs. Il pensait, non sans raison que, hors de la capitale, il lui serait moins facile de conspirer contre son pouvoir.
Mais l’endroit n'avait pas la cote auprès de la Cour et des ministres, Colbert en tête. Le principal ministre de Louis XIV, voyait le Louvre comme le seul palais digne d’accueillir le roi de France et sa Cour.
D’autres, préféraient le château de Saint-Germain-en Laye, le lieu de naissance du jeune roi « ... lieu unique pour rassembler les merveilles de la vue, l'immense plain-pied d'une forêt toute joignante, unique encore par la beauté
de ses arbres, de son terrain, de sa situation... » tel que le décrivit Saint-Simon.
Sans doute cette réticence générale renforça-t-elle la volonté royale. Rien ne se prêtait à la construction du château royal à cet endroit vu, par le même Saint-Simon, comme « le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux... tout y est sable mouvant ou marécage...», alors, pour le roi démiurge que Louis XIV voulait être, cela fera une raison de plus pour le choisir.
De ce pavillon de chasse de peu de prestance, de cette terre engoncée, spongieuse, pourrie de marais, il fera le centre et le décor de son pouvoir absolu. Il y sera le Roi-Soleil, l’astre qui rayonnera sur tout un peuple de courtisans attiré là par les fêtes somptueuses qui y étaient données, pour y rester sous sa surveillance, à sa disposition et subjugué par son éclat apollinien .
Les travaux engloutirent des fortunes colossales, tuèrent par milliers les ouvriers ; mais qu’importe, la nature se plia à la volonté du roi tandis que les artistes, les architectes, les artisans et les ouvriers s’échinèrent à réaliser ses rêves, ses désirs et chacun de ses caprices. Les marais furent asséchés, l’eau vint de plus en plus loin au moyen de systèmes de plus en plus sophistiqués, on replanta des arbres à la place de ceux qu'on avait arrachés, on creusa étangs, canaux et réservoirs et on arasa les collines ne fut-ce, parfois, que pour une simple lubie royale.
Les travaux permanents furent la seule constante dans l’histoire de Versailles. En 1715, à la mort de Louis XIV, le château n’était pas achevé puis, repris par ses successeurs, il ne fut jamais vraiment.
Malgré ces transformations et ces ajouts incessants, « Il se plut à tyranniser la nature, à la dompter à force d'art et de trésors. Il y bâtit tout l'un après l'autre, sans dessin général ; le beau et le vilain furent cousus ensemble, le vaste et l'étranglé. », l’impression générale que laisse Versailles et ses jardins, est celle d’une grande harmonie comme si les bâtiments, les parterres et les bosquets venaient d’un même plan, d’un même temps. On peut aussi se féliciter que les projets sollicités par Napoléon aient avortés : le style Empire, à la fois raide et pompeux, ne valant pas l’élégance raffinée, baroque, d’un Ancien Régime à son apogée décadent.
"L’État c'est moi"
Visité par des millions de touristes, le château de Versailles reste l'un des symboles les plus forts de l'identité nationale au même titre que le mont Saint-Michel ou la tour Eiffel.
Il faut dire aussi que c'est là que Louis XIV réussit à dominer définitivement le vieil ordre de la noblesse. Domination symbolique - il fallait être là pour exister socialement - et matérielle, par la distribution des pensions, des faveurs et des charges. C'est là aussi que fut centralisé pour la première fois le pouvoir politique et qu'une gigantesque machine administrative commença à couvrir l'ensemble du royaume.
Un jardin de sculptures
C'est en visitant Vaux-le-Vicomte que Louis le 14e choisit André Le Nôtre pour construire les jardins du château
de Versailles. Pour le roi, les jardins comptaient autant que le palais. Les allées rectilignes ou rayonnantes, les
grandes fontaines et les bosquets plus intimes, ces espaces soigneusement organisés, sont habités par tout un
peuple de statues.
Les multiples sculptures (en bronze, en pierre, en plomb, en bois peint, équestre, solitaire ou en groupe, bas ou
haut-relief, gisant, porte candélabre, gargouille) des jardins, des bassins, des fontaines du domaine constituent un
véritable musée à ciel ouvert qui a la réputation d'être le plus important du monde.
L'hiver, les plus fragiles d'entre elles sont couvertes d'une housse de protection à moins que ce ne fut cette année-là,
l' intervention d'un artiste contemporain.
Le parterre d'eau et les bassins
Le contrôle de l'eau est l'une des grandes affaires du château de Versailles. L'eau, il a fallu d'abord l'enlever du terrain choisi, ce travail d'asséchement engloutit des fortunes et la vie d'innombrables ouvriers. Puis il fallut de gigantesques travaux sur le paysage lui-même et la mise en œuvre d'une ingénierie sophistiquée pour amener l'eau de la Seine grâce à la fameuse "machine de Marly". Cette installation s'avère néanmoins insuffisante et on multiplie les sources d'approvisionnement. Les étangs et les sources des alentours sont mis à contribution et vite asséchés, on utilise les eaux de la Bièvre et de l'Yvette, grâce à la création d'étangs artificiels, à la construction d'aqueducs et de gigantesques réservoirs.
Des diverses installations d'art contemporain, j'ai préféré celle Olafur Eliasson qui me semble plus dans l'esprit des lieux,
moins envahissante malgré l'immense échafaudage qui fut nécessaire à la réalisation de cette cataracte.
Les trianons
Je ne sais pas s'il faut marquer le pluriel alors je les traite comme des noms communs. Communs ces trianons ne l'étaient pas car, s'il s'agissait de sortes d'annexes du château principal, ils étaient les résidences préférées des monarques : il faut dire que, le petit comme le grand, ont un certain style et étaient dotées de tout le confort et le luxe que permettait l'époque.
Le Grand Trianon
Être invité à séjourner au Grand Trianon, y participer aux fêtes, était une distinction très convoitée par les courtisans de Louis XIV, en même temps qu'un moyen de surveillance utilisé par le roi. De plain-pied, de marbre rouge et blanc, il apparaît par bien des côtés plus luxueux que le château principal. Les premiers temps de sa construction, le roi ne s'y rendait qu'en journée puis, une fois agencé et meublé, il devint sa résidence principale.
Le petit Trianon, les jardins et le Hameau de la reine
Bâti entre 1762 et 1768 pour les favorites du roi Louis XV, le petit Trianon, ses jardins et son hameau forment un ensemble bien à part dans le domaine de Versailles. C'est là que Marie-Antoinette venait retrouver ses enfants et ses proches, vivre selon ses goûts et jouer à la fermière. Néanmoins, l'histoire en marche a fini par la rattraper.
Loin de l'ordonnancement rigide des grands jardins, ceux du domaine de Trianon sont bien agréables, on peut même momentanément s'y perdre. En tout cas voilà une agréable promenade jusqu'aux chaumières du hameau qui ont été restaurées. On y trouve des animaux de basse-cour de compétition, des poissons-chats à la bouche vorace et de paisibles moutons, tranquilles, dans leurs pâtures.
Le mot civilisation s'impose en français dans le courant du XVIIIe siècle.
Il renvoie à la culture classique et se réfère aux bonnes manières, à la distinction,
au goût pour la conversation et à un art de vivre qui distingue l'aristocratie du
peuple, l'éduqué de l'ignorant. Versailles est alors le creuset où ces normes
se forment et d'où elles diffusent peu à peu dans l'ensemble de la population française. C'est dans des lieux clos, à l'abri des regards que les normes de
l'époque imposent d'uriner et de déféquer.
Cette règle qui apparait à la cour de Versailles, où on ne chiait donc pas par terre derrière les portes - sauf peut-être après une viande trop faisandée ou dans
l'urgence d'une gastro, mais dans des édicules clos de rideaux qui étaient
disponibles à la demande ou dans de véritables cabinets, comme ici au petit
Trianon. Ces installations ne prévoyaient évidemment pas d'évacuation par
une chasse d'eau, et il revenait aux innombrables domestiques la tâche ingrate
et malodorante de les nettoyer.
La galerie des Glaces
Que ce soit pour faire la guerre, mener le commerce triangulaire (pour lequel Colbert, au nom du roi, élaborera le Code noir), contrôler les routes maritimes ou construire Versailles, les besoins de la monarchie semblent infinis. L'énorme poids des impôts
et la permanence des conflits feront beaucoup pour le discrédit et la haine populaire envers la royauté.
Dans ce contexte, en attendant une révolution qui viendra, les talents politiques et économiques de Colbert trouveront à s'exprimer.
Seront fondés l'arsenal de Rochefort, l'Académie des sciences, les compagnies commerciales des colonies, et les
grandes manufactures. De même, sera organisée une exploitation rationnelle des forêts. Cette politique permettra une
production nationale à forte plus-value dans bien des domaines.
Le miroir est en ce temps-là un objet rare et précieux dont les Vénitiens ont le quasi monopole. Il faudra donc créer une structure française qui permettra, entre autres, l'équipement d'une des merveilles du palais : la galerie des Glaces.
Pour mon plus grand bonheur, la planéité des productions de cette manufacture (la Manufacture royale de glaces et de miroirs), ancêtre de Saint-Gobain, n'était pas totale, causant ainsi les aimables déformations des reflets que j'y saisissais.
La mort du roi
Ce Roi-Soleil, monarque absolu de droit divin, dont le règne fut l'un des plus longs de toute l'histoire (avec ceux du pharaon Ramsès II, une sorte d'alter-ego antique, et de l'impératrice Victoria) agonise plusieurs jours, une gangrène ischémique lui remontant jambe et cuisse jusqu'à l'embolie finale.
La mort du roi tient à la fois du spectacle politique et religieux, si le corps du roi meurt sa dignité est transmise sans attendre : le roi est mort vive le roi et, même si celui-ci à cinq ans, il incarne la royauté qui est passé du corps du vieillard épuisé au sien. Tout comme l'ensemble de sa vie, l'agonie du roi fut un spectacle public. Il fallait montrer le courage et la dignité d'un monarque devenu dévot, il fallait l'exemplarité d'une "bonne mort" et suffisamment de témoins pour en rapporter le détail.
Selon la tradition, l'immense cortège funèbre quitta Versailles de nuit pour arriver au matin à la basilique Saint-Denis où la dépouille royale, séparée de son cœur et de ses entrailles, vint rejoindre celles de ses ancêtres.
Avec la mise à sac du Palatinat, la révocation de l’Édit de Nantes sera l'une des grandes fautes du règne de Louis XIV. Le protestantisme se retrouve interdit ; les conversions et les baptêmes forcés, la destruction des temples et des écoles, la répression des réfractaires entrainent l'exil massif d'une élite bourgeoise, riche et éduquée, de Huguenots. Les dragonnades qui frappèrent les populations protestantes qui n'avaient pas pu ou pas voulu quitter la France, furent d'une brutalité insensée et la révolte qui s'ensuivit, la guerre des Camisards, constitua une véritable guerre civile. La guerre, l'intolérance religieuse, une série d'hivers glaciaux, le poids de plus en plus lourd des impôts : c'est un pays exsangue que laisse Louis à son arrière petit-fils, il lui en fait la confession en le prévenant contre la guerre, contre ces guerres qu'il aura mené sans discontinuer de 1672 à 1712. Un avertissement qui sera sans grand effet sur le règne belliciste de Louis XV.
La France, principale puissance continentale, vaste pays géographiquement homogène, le plus peuplé d'Europe, sort agrandit territorialement, du règne de Louis XIV. Profondément réorganisé et modernisé dans bien des domaines, l'administration a été largement développée et centralisée. Mais le pays conserve bien des archaïsmes, avec au premier rang l'impôt que Vauban a proposé en vain de réformer en le faisant peser sur toute la population. Le pays et le peuple sont épuisés et la question fiscale - l'injustice et l'inefficacité qu'elle porte - sera l'une des causes profondes d'une révolution qui mettra fin à la monarchie française.
Une visite du domaine du château de Versailles en une journée vous obligera à faire des choix. Les visites qui me paraissent incontournables sont la cour de marbre (ce qu'il reste du château de Louis XIII), la galerie des Glaces et les appartements du roi.
Suivra une longue visite des jardins en commençant par les parterres d'eau et les bassins les plus emblématiques qui ponctuent la grande perspective : descendez le Tapis Vert qui, dans l'axe de la grande perspective, mène au bassin de Latone et au bassin d'Appolon. Passées les grilles, commencent le parc du domaine de Versailles (en accès libre toute l'année) dirigez-vous vers le grand et le petit Trianon. Si vous avez le temps, visitez le grand Trianon et ses jardins très fleuris et, pour changer de l'ordonnancement des jardins de Le Nôtre, une balade dans le jardin anglais du petit Trianon s'impose, Elle vous mènera jusqu'à la ferme et au hameau de la Reine, un décor champêtre, quasi disneyen, récemment restauré.
Pour un survol "interactif" des incontournables et des conditions de visite ou une présentation attrayante et assez complète le site officiel du domaine s'avère plein de ressources.