RIVAGES
On les quitte en espérant trouver outremer une vie meilleure, on y échoue à l'issue d'un naufrage, on y revient au terme d'un long périple.
C'est là que vivent une très grande part des êtres humains.
C'est là qu'ils érigèrent leurs plus grandes cités ; villes portuaires exposées, ouvertes et comme projetées vers des mondes qu'ils voulaient découvrir, relier ou conquérir.
Réalité physique, interface géographique et lieu métaphorique, ils sont la terre terre stable face au milieu mouvant des mers ; les rivages sont multiples, changeants et fragiles ; ils tiennent tête au ressac et aux tempêtes.
Ils marquent la frontière, ils sont aussi le passage et le lien.
Ici, je n'en montre qu'une infime partie mais une part essentielle, ma part, mes rivages.
Aubes
Sortir avant l'aube - quand la nuit et le silence règnent encore et que toute l'humanité environnante reste endormie- constitue une expérience irremplaçable, un instant privilégié où la lumière revient, un moment fugace où le jour renaît.
Souvent je suis seul sur la promenade, sur la falaise ou sur la plage.
Les premières silhouettes n'apparaîtront, lentes et furtives, que deux ou trois heures plus tard. Ces quelques heures me sont précieuses, suspendues, comme volées au cours ordinaire du temps.
Aube symétrique sur Utah Beach
Thalassa! Thalassa! s'écrièrent-ils comme délivrés à la vue de la mer.
Voyager, quand attendre de voir la mer reste une promesse, comme l'annonce de jours insouciants, pleins et heureux, de jours solaires.
Donc, ici, pas d'angoisse létale ni de retraite éperdue devant un danger mortel, nous ne sommes pas dans "L'Anabase" ; il y a seulement le stress de partir tôt le matin et d'affronter les interminables étapes d'un voyage en avion ou l'ennui profond de se retrouver pris dans de glutineux embouteillages.
Mais, en approchant du rivage, le jeu, répété à chaque fois, de celui qui verra la mer en premier :
Thalassa !
Thalassa !
Des paysages
Falaise, cap, presqu'île, péninsule, côte, promontoire, marée, jusant, vagues, rouleaux, anse, rade, golfe, baie, crique, calanque, plage, estran, grève, lagune, étang, mangrove, marais, étier, dune, polder, récif, brisants, écueil, banc de sable, rocher, pinède, phare, port, havre, quai, jetée, digue, dock, môle, wharf, débarcadère, embarcadère, amer, aber, ria, chenal, estuaire, embouchure, delta et, en face, à chaque fois, s'ouvre l'immense paysage immuable et changeant de la mer.
Suite méditerranéenne
Sur l'estran
Ubac, adret, de petits mots que j'aime bien, ou boréal (adj : qui est situé à proximité du pôle nord) et toundra, aven et karst (nm : vient du nom d'une région slovène, relief des massifs calcaires très érodés notamment par l'action des eaux souterraines) des mots qui vont en couple. Caldeira et barkhane (nf : dune mobile en forme d'arc), mangrove et canopée (nf : milieu naturel formé par le sommet des arbres d'une forêt) autant de mots non pas savants ou compliqués mais précis car ils désignent une chose, une forme, un (mi)lieu. Je n'ai plus ni les jambes ni le souffle pour parcourir l'adret ou l'ubac d'une haute vallée alpine. Dans nombre de ces lieux je n'ai pas l'occasion d'aller, quoique je ne désespère pas de les découvrir ou d'y retourner : du karst et des avens on en trouve en France, en Croatie aussi, quant à boréal et à toundra il suffit d'aller en Islande terre de geysers, de solfatares et de fjords. Oui, bon choix que l'Islande, beau pays hors norme et peuplé de braves gens qui ont mis leurs banquiers véreux en prison et viré leur chef de gouvernement.
En attendant les glaciers et les volcans d'Islande, j'ai eu sous la main, sous les pieds plutôt, le terrain désigné par un autre de ces mots : estran.
Terre et mer provisoire, voilée dévoilée quatre fois par jour, cet estran j'y allais, et sur l'un des plus vastes de notre monde à quelques heures de route de Paris.
Me voici donc dans la baie du Mont Saint-Michel, j'arpente les sols glaiseux, mouvants, de la baie de Granville, slalomant entre les nœuds sableux des vers arénicoles, le plus fréquent des animaux du benthos (nm :ensemble des êtres vivants fixés au fond des eaux) de ce littoral. Dans un paysage ouvert comme il n'y en a peu, élémentaire, épuré jusqu'à l'os avec le plan de l'estran, la ligne d'horizon, le ciel et, de loin en loin, la ligne épaisse des concrétions rocheuses, la silhouette penchée des pêcheurs à pied et celle droite des pêcheurs à la ligne. Je marche rapidement vers la ligne de marée basse presque fondue à l'horizon puis je ralentis à l'approche des vieux pièges à poissons, ces pêcheries ancestrales en forme d'ailes. Moi aussi je vais pêcher, me retrouver dans cette posture hautement visualiste de celui qui est là, imprégné d'impressions sensorielles, et qui laisse aller sa pensée, son regard et ses mains vers ce qu'il pourrait saisir des flux qui passent autour de lui.
Suite normande
La plage, les estivants
Le bord de la mer est lié aux jours lumineux de l'enfance, des fragments de vie suspendues dans la mémoire. Je ressentais ces vacances comme les seuls moments parfaits, comme les seuls que je voulais réels et, dans mes premières années, dans ce temps idéal, elles semblaient presque éternelles. Elles finissaient pourtant mais cette perfection leur donnait une telle substance qu'elles en acquéraient une dimension intemporelle. J'ai essayé de retrouver de plusieurs manières cette grâce dont j'ai gardé une nostalgie tellement puissante qu'elle me fut sans doute une souffrance assourdie, une blessure jamais cicatrisée.
marcher sur l'eau
Sur la côte sud de la Crète, la plage de Koraka est l'un de ces endroits qui reste à l'écart des grandes structures touristiques. Ici, il faudra supporter les périodes où le vent souffle si fort, qu'il soulève de cinglants tourbillons de poussière et de sable, qu'il drape les vagues de voiles d'écume irisée.
C'est l'une des raisons qui - avec l'éloignement des trois grandes villes crétoises, l'absence de grandes infrastructures et donc un enclavement certain - expliquent que ce littoral soit resté épargné par les inconvénients du tourisme industriel.
Suite bretonne
EN VILLE
Les rivages attirent les humains. Le littoral le plus urbanisé a toujours face à lui la mer, l'élément naturel le plus abondant et le plus fécond de notre monde. Les calculs sont difficiles à faire, mais si on donne une profondeur de 15 km à une région littorale, la population mondiale des régions côtières se monte à 850 millions d'habitants, si on lui donne une profondeur de 50 km c'est la moitié de la population de la Terre qui habite une région littorale : une proportion énorme au regard de la faible superficie de cette bande littorale face aux immensités des espaces continentaux.
Les densités de population des conurbations littorales (mégalopole de la côte est des Etats-Unis de 650 km de long, au Japon la ceinture du Pacifique de 900 km de long) atteignent 1 200 et 2 000 hab/km2 tandis que la densité moyenne de ces régions est cinq fois supérieure à celle des régions continentales.
Bref, il y a du monde et les vacances estivales ne font qu'augmenter ces densités, heureusement de manière très localisée. Ce phénomène de transhumance humaine et motorisée me pousse à rechercher des endroits qui restent, le plus possible, épargnés par les invasions saisonnières.
Le Havre
La Canée
Paimpol et autres
La piscine de Saint-pair-sur-Mer est une des attractions de la station ou, au moins, un bon sujet photo avec un premier bassin "naturel" et plus loin le bassin sportif avec ses plots de départ, ses rambardes et ses vidanges. La marée haute la submerge deux fois par jour : la qualité de l'eau est garantie.
Panoramique languedocien